Malgré la disparition progressive du cliché des films américains associant billards, salles enfumées, gangsters et femmes fatales, notre jeu véhicule toujours dans le grand public une image alcoolisée. Pas tout à fait à tort semble-t-il, car en bons Français nous avons gardé l'habitude d'ouvrir des buvettes devant nos salles de billards et de boire de l'alcool pendant les championnats, avec le lot habituel d'incivilités et de comportements parfois violents, en tout cas malvenus dans une enceinte sportive. Pourtant, même si l'on recense moins de rixes entre supporters, ou moins d'arbitres écharpés chez nous qu'au football, si nos 3e mi-temps sont moins célèbres que celles du rugby, les frasques d'un O'Sullivan, celui qui snooke plus vite que son ombre, proposant à un journaliste de lui « faire une pipe » devant les téléspectateurs chinois, n'ont pas particulièrement relevé le niveau. Et l'Agence antidopage américaine (USADA) ne nous a pas aidés non plus en annonçant en 2007 que les joueurs de billard pourront s'alcooliser sans encourir de sanction. On peut même pratiquer le tir en étant "rond comme une queue de pelle". God bless America.
Le problème, parce qu'il y en a un, est simple : plus de 90 % des Français consomment de l'alcool, 25 % des jeunes ont des ivresses répétées et les sportifs s'enivrent plus que les autres. Alors, plutôt que d'expliquer une fois de plus les effets délétères de l'alcool sur la santé, ce qui ne semble pas dissuasif, il paraît plus instructif d'analyser ses conséquences sur le jeu.
Conseils de modération pour qui ?
"En tout cas pas pour moi. Je ne bois que deux verres pendant le repas, et oui, au fait, un apéro au ranking mais c'est exceptionnel." Tout faux !
Un verre (vin, bière, apéritif, vin cuit... tout ça c'est pareil) c'est à peu près 10 g d'alcool pur qui donne 0,20 g/l chez un homme de 70 kg et 0,30 g/l chez une femme de 55 kg. Avec tes deux verres et ton apéro, tu te retrouves à 0,60 g/l, et ta copine à 0,90. Non seulement tu es marron au moment du contrôle (routier), mais tu l'es aussi pendant ton match... sauf si ton adversaire est encore plus ivre que toi. Parce que l'alcool altère les capacités de réflexion et donc les performances.
Quelles performances ?
La légende de l'alcool dopant reste vivace même chez les sportifs de haut-niveau alors qu'il n'a jamais produit d'énergie mais diminue la sensation de fatigue. Il ne réchauffe pas mais au contraire refroidit, en provoquant bouffées de chaleur et transpiration. Il n'améliore pas la clairvoyance mais augmente le temps de réaction, et détériore la coordination. Il n'encourage pas à se dépasser mais rend agressif ou défaitiste.
Alors pourquoi les sportifs boivent-ils ?
Ils invoquent souvent un effet anti-stress, une certaine euphorie qui augmente le "capital confiance", un effet anti-tremblement particulièrement recherché dans les sports de précision (tir, golf, pétanque...), ou un effet myorelaxant (détente musculaire) apprécié par les anxieux. En réalité, la consommation est plus liée à l'effet de groupe qu'au stress1. Sport et alcool ont un rôle sociologique et véhiculent des valeurs de fraternité et de convivialité, et, de fait, l’alcool est considéré comme légitime autant par les spectateurs que par les sportifs. Hélas, l'alcool au billard c'est comme en amour : il fait monter la pression, mais la performance laisse à désirer !
Que faire pour y remédier ?
L'idéal serait bien sûr l'auto-discipline... peut-être soutenue par une directive officielle. Pourquoi ne ferions-nous pas comme la Fédération française de pétanque qui, malgré des décennies de sponsoring anisé, a réussi à imposer un contrôle de l'alcoolémie à ses joueurs ? Ou comme aux Pays-Bas où un joueur consommant de l’alcool durant un championnat est exclu de la compétition et de l’équipe ? Ou comme tous ces clubs de tir sportif qui interdisent aux compétiteurs de consommer sur les stands ? Dans tous les cas, c’est au directeur de jeu de gérer la situation et de saisir la commission de discipline en cas de débordement manifeste.
Donnons l'exemple et faisons-le savoir. Peut-être verrons nous revenir dans nos académies des petits jeunes qui amèneront du sang neuf. Sans alcool.
Pour la Commission Médicale – Michel Dumas
Notes
1- Document de l'Agende anti-dopage
2- Liste des interdictions 2014